Melle Ondine Spragg n’a rien pour attirer la sympathie. Cette jeune personne intraitable, orgueilleuse et matérialiste, n’a qu’un objectif dans l’existence : pénétrer la meilleure société américaine et en devenir le point de mire. Pour cela, tous les moyens sont bons ; manipulations, caprices, et surtout mariage avantageux. Elle jette donc son dévolu sur Ralph Marvell, un jeune homme de bonne famille, sensible et cultivé, fleuron de la haute société new-yorkaise, lequel, fasciné par la beauté de la jeune fille, l’épouse aussitôt. Mais la réalité ne va pas tarder à s’imposer cruellement à lui, tandis qu’Ondine monte une à une les marches vers la gloire.
La lecture de ce roman est une des raisons (avec une nouvelle gastro et autres épisodes prosaïques du même acabit) qui m’ont tenue éloignée de ce blog quelques semaines. Je l’ai littéralement dégusté, j'ai pris mon temps, je m’y suis plongée, ensevelie… En un mot : une révélation. J’ai su dès les premières pages que je tenais mon coup de cœur de l’année, et qu’Edith Wharton était un écrivain exceptionnel.
Ondine est odieuse, égoïste et superficielle, mais prodigieusement complexe, fascinante, souvent haïssable mais parfois émouvante aussi, et c’est tout le talent de l’auteur que d’avoir su rendre cette variété de sentiment. Depuis toute petite, Ondine cherche ce qu’il y a de mieux, et se débat pour échapper à son milieu familial étriqué, engrangeant échecs et succès avec la même endurance. Une volonté de fer l’anime, qui ne recule devant rien mais dont on ne peut qu’admirer la vitalité et l’exigence. Car l'aristocrate français Raymond de Chelles, l'homme d'affaires américain Elmer Moffat, inquiétant et irrésistible, le cynique banquier Van Degen, tous vont tenter de plier Ondine à leur code et leur vision du monde. Or dans cette société qui ne laisse aux femmes que l’option d’être des objets décoratifs au bras de leur mari, c'est Ondine qui transforme le sien, puis les suivants, en simples figurants de son propre destin. Cela fait d’elle une sorte de monstre, notamment vis-à-vis de sa famille, mais aussi une héroïne romanesque inoubliable.
Le roman nous fait voyager dans l’Amérique et l’Europe du XXème siècle naissant. Ondine conquiert d’abord New-York mais étend rapidement son territoire à l’Europe, - entendez, la France – le must des happy few de ce temps. Or Paris en 1900 offre quantité de divertissements exotiques pour les riches New-yorkais. Quant aux Français, la contemplation des mœurs à la fois libérées et puritaines d'outre-atlantique est pour eux un sujet d’étonnement permanent. La confrontation des valeurs de ces deux peuples est saisissante, en particulier sur la question du divorce, qui commence à se frayer un chemin même dans les meilleures familles américaines et françaises.
En conclusion, un superbe roman qui nous plonge au coeur de la société mondaine et cosmopolite de la Belle Epoque.
Un dernier conseil si vous achetez ce livre dans la même édition que moi, ne lisez surtout pas la quatrième de couverture qui déflore toute l’histoire, y compris le dénouement.
A lire en écoutant du Gershwin, bien sûr !
Les avis de Fashion (qui m’avait donné envie de le lire), Carolyn Grey, Allie,...
Les beaux mariages, Edith Wharton, éditions La Découverte, 460 pages.